Rapport Afrique N°188 11 juil. 2012
SYNTHESE ET RECOMMANDATIONS
Au lieu d’être une opportunité de développement, l’intérêt renouvelé pour le pétrole au Congo représente une réelle menace pour la stabilité d’un pays post-conflit toujours fragile. Les prospections pétrolières en cours et à venir alimentent déjà les ressentiments de la population locale et les tensions frontalières. La confirmation des réserves de pétrole dans l’Est exacerberait la dynamique de conflits à l’œuvre aux Kivus. La reprise des combats au début de l’année 2012, notamment l’apparition d’une nouvelle rébellion au Nord Kivu et la reprise de l’expansion territoriale des groupes armés, remet en question la stabilisation de l’Est du pays qui concentre l’intérêt des compagnies pétrolières. La découverte de gisements pourrait aussi créer de nouveaux centres de pouvoirs et remettre en cause la prépondérance politique du centre économique historique qu’est la province du Katanga. Des actions préventives doivent être menées afin de transformer la menace réelle d’instabilité en une véritable opportunité de développement.
Des réserves potentielles de pétrole chevauchant les frontières du pays avec l’Ouganda, l’Angola et éventuellement d’autres voisins pourraient raviver d’anciennes querelles frontalières une fois les explorations entamées. Dans un contexte général de ruée vers l’or noir en Afrique centrale et orientale, l’absence de frontières clairement délimitées constitue un sérieux péril pour la stabilité régionale.
Les affrontements ayant opposé les armées ougandaise et congolaise en 2007 ont été suivis de la signature des accords de Ngurdoto qui établissaient un système de gestion du gisement transfrontalier dans le district de l’Ituri. Cependant, la réticence de Kinshasa à appliquer les termes de l’accord et l’échec du dialogue ougando-congolais sont de mauvais augure pour les relations entre les deux pays. Par ailleurs, l’incapacité à trouver une solution à l’amiable au problème du pétrole au large de la côte ouest a envenimé les relations entre l’Angola et la RDC et a conduit à l’expulsion violente des ressortissants congolais du territoire angolais. Au lieu de chercher à résoudre les conflits de frontières avec ses voisins avant d’autoriser les prospections pétrolières, le gouvernement congolais ignore le problème, refuse le dialogue avec l’Ouganda et revendique une extension de ses frontières maritimes aux dépens de l’Angola.
L’enlèvement d’un sous-traitant d’une compagnie pétrolière dans le parc des Virunga dans les Kivus en 2011 rappelle que l’exploration a lieu dans des zones où l’insécurité prévaut. Dans ces territoires toujours contestés, les groupes ethniques se livrent à une lutte pour le contrôle territorial tandis que l’armée et des groupes rebelles sont engagés depuis des années dans l’exploitation illégale des ressources naturelles. Étant donné que les Kivus sont des zones à haut risque, la découverte du pétrole y aggraverait le conflit. Par ailleurs, la confirmation de réserves de pétrole dans l’Est et la Cuvette centrale pourrait alimenter les tendances sécessionnistes dans un contexte de décentralisation ratée et de querelle fiscale persistante entre les provinces et le pouvoir central.
La mauvaise gouvernance a marqué le secteur pétrolier depuis la reprise des prospections dans l’Est et l’Ouest du pays. Avec une seule société en production, le pétrole est déjà la principale source de revenus du gouvernement congolais. Pour autant, malgré le développement des explorations, la réforme du secteur pétrolier progresse très lentement. Au lieu de mettre en place des procédures claires, un cadre légal transparent et des institutions solides, les précédents gouvernements ont agi comme des spéculateurs, une attitude qui rappelle la gestion du secteur minier. Dans un climat des affaires très dégradé, ils ont attribué et réattribué les permis à des compagnies, au mépris des besoins de la population locale ou des engagements internationaux, notamment en matière de protection environnementale.
La délimitation officielle des blocs comprend des parcs naturels, dont certains sont classés au patrimoine mondial de l’humanité par l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco), et menace les ressources des populations locales. Les initiatives pour la transparence financière et contractuelle sont incomplètes et contredites par l’opacité de la réallocation des permis. L’échec de l’Etat à réguler les intérêts divergents et potentiellement conflictuels des compagnies et des communautés démunies nourrit clairement des ressentiments susceptibles de provoquer des conflits locaux qui pourraient facilement être instrumentalisés.
Dans un contexte de pauvreté généralisée, de fragilité de l’Etat, de mauvaise gouvernance et d’insécurité régionale, une ruée vers le pétrole aura des effets déstabilisateurs si le gouvernement n’adopte pas des mesures préventives tant à l’échelle régionale que nationale. Régionalement, le gouvernement doit concevoir, avec le soutien de l’Union africaine (UA) et du Groupe de la Banque mondiale, un cadre de gestion des réserves transfrontalières et délimiter ses frontières avec le concours de ses voisins. Sur le plan national, il doit mettre en place une réforme du secteur pétrolier, déclarer un moratoire sur l’exploration dans les zones dangereuses, en particulier à l’Est où la situation se dégrade de nouveau, jusqu’à ce qu’elles soient de nouveau stables. Il doit aussi associer les provinces dans les principales décisions concernant le pétrole.
RECOMMANDATIONS
Aux pays de la sous-région :
1. Négocier, avec le concours de l’UA et du Groupe de la Banque mondiale, un accord-cadre qui prévoit l’exploration et l’exploitation des réserves transfrontalières, avec une ou plusieurs sociétés opératrices, et un mécanisme de partage des revenus et de résolution des différends.
Au gouvernement de la République démocratique du Congo et aux pays voisins :
2. Lancer un programme de délimitation des frontières avec l’appui du programme frontière de l’UA avant toute nouvelle attribution de concessions dans les zones contestées; mettre en application les accords de Ngurdoto signés avec l’Ouganda; et trouver une solution globale et négociée avec l’Angola pour mettre fin à la querelle qui dure depuis plusieurs années.
Au gouvernement de la République démocratique du Congo :
3. Déclarer un moratoire sur les explorations dans les zones instables de l’Est et appliquer véritablement l’interdiction d’exploration dans les sites classés au patrimoine mondial de l’humanité.
4. Réformer le secteur pétrolier, notamment en:
a) définissant une politique pour le secteur et adoptant un code des hydrocarbures;
b) appliquant une politique de transparence financière et contractuelle;
c) démocratisant le processus d’attribution des permis pétroliers et l’évaluation de l’application des contrats de partage de production (CPP) signés avec les compagnies;
d) adoptant une procédure ouverte et transparente d’attribution des permis d’exploration et de production et excluant les accords de gré à gré et l’octroi des concessions à des sociétés dont l’actionnariat n’est pas rendu public; et
e) déterminant clairement les obligations fiscales, sociales et économiques des compagnies en accord avec les bonnes pratiques au niveau international et rendant obligatoire l’approche participative dans les projets de développement local et l’information et la consultation des communautés locales.
5. Impliquer les provinces dans les principales décisions de gestion et, si les réserves sont avérées, s’assurer que les provinces et les communautés locales bénéficient des revenus du pétrole.
A l’Union africaine, à la Banque mondiale et aux bailleurs de fonds :
6. Fournir une assistance technique et financière aux autorités congolaises pour la délimitation des frontières, l’accord-cadre pour l’exploration et le développement des réserves transfrontalières ainsi que la réforme de la gouvernance pétrolière.
7. Appuyer les efforts de la société civile congolaise pour mettre en place une structure de supervision du secteur pétrolier.
Aux compagnies pétrolières :
8. Publier les contrats et le montant des sommes versées au gouvernement.
9. Respecter les accords et lois internationaux et les lois congolaises.
10. Inclure une évaluation des droits de l’homme dans leurs études préliminaires.
Kinshasa/Nairobi/Bruxelles, 11 juillet 2012
Source: ICG