Attention Virunga: “les graves dommages des guerres sur l’environnement”

Les graves dommages des guerres sur l’environnement

La question des impacts environnementaux des conflits armés a fait ces deux dernières décennies l’objet d’un grand nombre d’études scientifiques et universitaires. Si l’aide aux populations reste la priorité, traiter les conséquences environnementales de la guerre est également un aspect primordial. Le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) a ainsi créé une « Post-conflict and disaster management branch[1] » afin d’intervenir sur ces problématiques, et une Journée internationale de la prévention et de l’exploitation de l’environnement en temps de guerre et de conflit armé a été instaurée. À cette occasion, Ban Ki-Moon, secrétaire général de l’ONU, a déploré les situations de lutte pour prendre possession de ressources naturelles, ou la surexploitation de celles-ci à cause de la guerre. À l’heure où le conflit à Gaza fait rage, il est donc légitime de s’interroger sur les conséquences irréversibles des guerres sur l’environnement[2].

La guerre entraîne le recours massif à des produits hautement toxiques pour l’homme et l’environnement

Les conséquences écologiques de la guerre sont bien connues et désormais dénoncées. L’exemple le plus accablant à ce jour est celui des dégâts causés par la bombe nucléaire à Hiroshima et Nagasaki, laissant derrière elle une terre marquée à jamais par l’explosion.

Les obus et munitions

Toutefois, il n’y a pas que le nucléaire qui provoque des dégâts, loin s’en faut. Longtemps après la guerre, les zones qui ont été bombardées continuent de contenir des obus non-explosés. S’ils ne sont pas ramassés, ils finissent par se dégrader dans la terre et contaminer les sols.

En France les déchets de la Première Guerre Mondiale continuent de polluer, comme l’a rappelé l’association Robin des Bois à l’occasion de la célébration de l’armistice, le 11 novembre. Les obus enfouis dans le sol contiennent de l’arsenic, du mercure et des sels de perchlorates, entre autres substances toxiques. L’association demande à l’Union Européenne de lancer un programme ambitieux de déminage dans les régions les plus touchées (Franche-Comté, Alsace, Lorraine, Champagne-Ardenne, Île-de-France, Picardie, Nord-Pas-de-Calais), sur les champs de batailles mais aussi de mesurer les résidus nocifs près des sites de stockage. Selon Robin des Bois toujours, 500 à 800 tonnes de munitions anciennes sont collectées chaque année sur le territoire français.
De plus, les pluies de bombes qui s’abattent sur les pays rendent les terres infertiles : le conflit dans le sud du Liban en 2006 a rendu la terre inexploitable pour une durée encore indéterminée.

Durant la seconde guerre du Golfe (1990-1991), les États-Unis ont envoyé sur l’Irak des milliers d’obus remplis d’uranium appauvri[3], ce qui a considérablement affecté l’environnement. Bien que cette affaire ait longtemps été passée sous silence ou minimisée, la multiplication des maladies chez les anciens combattants de la Guerre du Golfe ne semble pas être une coïncidence, compte tenu des milliards de particules qui se sont diffusées dans les sols. La même situation était à déplorer au Kosovo et en Bosnie lors des conflits à la fin des années 1990.

Les pesticides

Les obus ne sont pas les seuls résidus des guerres. Au Vietnam (1964-1975), les États-Unis et leurs alliés ont massivement utilisé « l’agent orange », un défoliant[4] dont la toxicité aurait détruit 14% des forêts du Vietnam méridional, mais aussi provoqué des malformations, des maladies de la peau et des cancers sur 2 à 5 millions de personnes (Guerres & Histoires, août 2012). Des dizaines de millions de litres de ce produit toxique et de substances semblables ont été déversés afin d’empêcher le camouflage des soldats Vietminh dans la végétation et de détruire leurs cultures. La guerre du Vietnam a été reconnue comme « la plus grande guerre chimique expérimentale de tous les temps » selon l’amiral américain Elmo R. Zumwalt, commandant des forces navales au Vietnam. Début août 2012, après plus de 40 ans de déni, les États-Unis se sont engagés dans une opération de dépollution sur l’ancienne base américaine de Danang, dans le centre du Vietnam (un des trois sites les plus contaminés du pays). Celui-ci présente des concentrations toxiques 400 fois supérieures aux normes acceptables.

La destruction délibérée de l’environnement peut donc constituer une stratégie militaire lorsque les ennemis trouvent refuge dans les écosystèmes naturels. Cette stratégie est connue sous le nom d’ « écocide ». [5]

Les pollutions aux hydrocarbures

Pendant la première guerre du Golfe, les incendies des puits de pétrole au Koweït ont amplement pollué l’air et les sols. Un milliard de barils de pétrole (l’équivalent de plus de deux mois de consommation actuelle de pétrole pour les États-Unis) ont ainsi été gâchés. Entre 700 000 et 900 000 tonnes d’hydrocarbures ont pollué la mer à cause des sabotages de l’armée irakienne, créant une marée noire désastreuse pour les écosystèmes. Dans la même veine, les bombardements israéliens au Liban ont provoqué le déversement de 10 000 à 15 000 tonnes de fuel dans la Méditerranée.

L’érosion des sols

Les scientifiques soulignent également les dommages causés au désert par la circulation et les manœuvres des véhicules lourds lors de la guerre du Golfe. Ceci pourrait accélérer l’érosion des sols. On constate d’ailleurs une augmentation du nombre de tempêtes de sable dans ce secteur.

Les autres conséquences

Il est important de souligner que la guerre a aussi des conséquences en dehors des conflits : les bases militaires sont souvent contaminées par des résidus d’explosifs ou de carburant, et les manœuvres militaires ont des conséquences néfastes pour les écosystèmes (par exemple, les ondes émises par les sonars très puissants peuvent désorienter voire tuer certains animaux marins). Paradoxalement, certaines zones militarisées peuvent être reconquises par la nature en l’absence de l’homme : zones minées, no man’s land, certaines zones de l’ancien mur de fer en Europe.

Guerre et environnement : un risque de cercle vicieux

Si la dégradation des écosystèmes est dramatique, les effets de la guerre sur l’environnement peuvent encore s’aggraver, car cela accentue la pauvreté, donc l’instabilité politique, et débouchent sur un nouveau conflit armé. Afin d’éviter cet engrenage, le PNUE a crée un groupe qui intervient après les conflits pour dépolluer les sites : Post-conflict and disaster management branch.

La guerre induit aussi le problème des déplacements de population. La plupart du temps, lorsque les populations migrent, elles se retrouvent concentrées dans des zones où les ressources naturelles sont insuffisantes pour satisfaire un tel afflux. Ainsi, 850 000 personnes ont fuit les massacres du Rwanda pour se réfugier près du parc national des Virunga (République Démocratique du Congo), très riche en biodiversité. Ceci aurait conduit à la destruction de 300 km² de forêt en seulement quelques années. Les modifications qu’entraîne le changement climatique dans certaines régions géographiques poussent les populations à se déplacer en nombre, ce qui rend plausibles de futurs conflits pour la possession de terres.

Quand les manipulations environnementales sont des éléments de stratégie militaire

Les atteintes à l’environnement ne se limitent pas aux conséquences que nous venons de décrire. L’environnement lui-même peut faire l’objet de manipulations à des fins de guerre, comme ce fut le cas de 1966 à 1972 avec le projet POPEYE. Mis en place par les États-Unis, il visait à prolonger la saison des moussons au Vietnam pour ralentir la progression des ennemis. En dispersant de grandes quantités d’iodures d’argent en haute atmosphère, ils parvenaient à renforcer les précipitations.
D’autres projets similaires d’introductions de substances dans l’atmosphère ont existé. Afin de stopper le recours à ces dangereuses modifications, l’Assemblée Générale de l’ONU a adopté le 10 décembre 1976 la Convention sur l’utilisation des techniques de modification de l’environnement à des fins militaires ou toutes autres fins hostiles (convention ENMOD), entrée en vigueur le 5 octobre 1978. L’article 1er mentionne : « Chaque État partie à la présente Convention s’engage à ne pas utiliser à des fins militaires ou toutes autres fins hostiles des techniques de modification de l’environnement ayant des effets étendus, durables ou graves, en tant que moyens de causer des destructions, des dommages ou des préjudices à tout autre État partie ». La définition inclut notamment des actes délibérés visant à provoquer des tremblements de terre, des tsunamis, des raz-de-marée, à bouleverser l’équilibre écologique d’une région, à entraîner des changements météorologiques ou climatiques, ou à modifier les courants océaniques.
Vient se rajouter ensuite le Protocole de Genève de 1977, qui interdit « des méthodes et des moyens de guerre qui portent atteinte à l’environnement de telle manière qu’ils perturbent la stabilité de l’écosystème ». On peut également lire : « Les attaques contre l’environnement naturel à titre de représailles sont interdites. ». D’autres textes, plus techniques, sont venus par la suite étoffer le droit coutumier applicable à la guerre, pour tenter de limiter des conséquences environnementales gravissimes. Ces textes trouvent bien sûr leurs limites dans celles du droit international : termes trop imprécis ou vagues qui limitent la portée juridique des textes, absence d’institution capable d’appliquer des sanctions en cas d’infraction, non-application des lois internationales en temps de guerre, etc.

Quand l’environnement est la cause de la guerre

Il arrive que l’environnement ne soit pas une victime collatérale d’un conflit mais le prétexte de celui-ci : raréfaction des ressources naturelles, dégradation de l’environnement comme source d’insécurité… En 2007, on comptait 67 conflits armés liés aux ressources naturelles, sur les 328 recensés dans le monde (soit un cinquième des conflits), la plupart en Afrique et en Asie. 

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Ainsi, les conflits sont souvent motivés par l’appropriation d’une ressource. Les guerres coloniales en sont une preuve. Plus proche de nous, l’invasion du Koweït par l’Irak (Guerre du Golfe) n’avait d’autre objectif que de s’emparer de ses réserves de pétrole et de devises. Ces guerres ne relèvent pas que de la logique Nord-Sud puisque le Chili, le Pérou et la Bolivie se sont disputés le contrôle des réserves de nitrates au cours de la guerre du Salpêtre, dans les années 1880. Ces conflits plus ou moins intenses interviennent souvent dans des pays politiquement instables où la répartition des richesses est particulièrement inégale. Les ressources naturelles ont toujours suscité les convoitises. Ainsi, de coups d’état (en Iran contre Mossadegh ou au Chili, contre Allende) en guerres civiles, de très nombreux troubles trouvent leur origine dans la volonté d’accéder à certaines ressources naturelles (terre, eau, minéraux, pétrole…)

Ironiquement, ces mêmes ressources servent souvent en même temps à financer des conflits : ainsi, les pierres précieuses ont largement alimenté les conflits en Birmanie, en Sierra Leone, au Libéria, en Angola, etc.  Depuis plus de 15 ans, la République démocratique du Congo (RDC) connaît une guerre dramatique pour la possession du coltan[6], dont le pays possède plus des deux tiers des réserves mondiales. Le conflit aurait déjà fait 5 millions de morts. Un rapport d’experts présenté en 2001 au Conseil de sécurité de l’ONU dénonçait l’extraction illicite de ce minerai, que les entrepreneurs occidentaux faisaient transporter par les armées de l’Ouganda, du Rwanda, du Burundi et de la RDC. Ces exploitations illégales entraînent la présence d’armées étrangères dans la région du Kivu et menacent l’écosystème forestier de la région.

Notes

  1. Pôle qui s’occupe de la gestion des désastres environnementaux et de l’après-conflit
  2. Voir à ce titre un article paru sur le site en 2009 : les conséquences environnementales catastrophiques de la guerre dans la Bande de Gaza
  3. L’uranium appauvri est un déchet radioactif extrêmement dense issu de l’enrichissement de l’uranium, qui est usuellement stocké dans des sites surveillés. En 1994, les Etats-Unis ont exploité les caractéristiques de l’uranium appauvri pour fabriquer des munitions perforantes et des blindages plus résistants contre l’Irak.
  4. Un défoliant est un herbicide qui fait tomber les feuilles des arbres par sa toxicité.
  5. Voir : Les dommages sur l’environnement dus aux guerres modernes sont sans précédents
  6. Le coltan est un minerai de couleur noire ou brun-rouge contenant deux minéraux associés : la colombite et la tantalite, principaux minerais de niobium et de tantale. Le tantale est indispensable à la fabrication de composants électroniques présents dans les téléphones portables.

Sources

Auteur

Anaelle Sorignet / notre-planete.info – Tous droits réservés

Source: Notre Planete